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Par Didier Roch
Orthophoniste
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Les difficultés d’acquisition du langage oral constituent un motif fréquent de consultation. L’enjeu pour le clinicien est de les décrire suffisamment précisément pour construire un projet thérapeutique. Cette tâche présuppose plusieurs points d’accord entre les professionnels : accord sur ce qu’est la norme langagière, accord sur la frontière entre le normal et le pathologique, accord sur la description de la pathologie… Et enfin accord sur la pertinence et les limites des outils utilisés pour la mettre au jour et des modèles qui ont présidé à leur conception.
L’accord sur la définition d’une norme langagière se heurte à la variété des usages des locuteurs et au caractère fondamentalement interactif du langage. Le choix qui estgénéralement fait dans la conception des tests de langage utilisée par les orthophonistes est de considérer la norme statistique comme reflétant suffisamment la réalité du fonctionnement langagier pour en constituer une bonne représentation1 .
Pour autant, cela n’est pas suffisant pour définir la différence entre le normal et le pathologique : un des facteurs démontrés comme pertinents pour la définition de la pathologie est le nombre de niveaux linguistiques perturbés ainsi que d’éventuelles dissociations entre ceux-ci ou entre les versants réceptif et expressif, bien que cette dernière fasse l’objet d’interrogations2 .
L’accord sur la description de la pathologie nécessite l’emploi de termes suffisamment précis pour les nommer : or, à l’heure actuelle, coexistent différentes classifications et différentes dénominations pour les troubles du langage qui ne sont pas liés à une cause identifiable.
Dans la pratique française, on trouve dans la CFTMEA (Classification française des troubles mentaux chez l’enfant et l’adolescent3 ), les termes de « retard de langage » et de « dysphasie ». Dans la Nomenclature générale des actes professionnels en orthophonie (dernière modification 2018), on parle de « troubles de la communication et du langage oral » et « dysphasie ». La Haute Autorité de Santé utilise elle, en 2017, le terme de « Trouble Spécifique du Langage (TSL) », traduction de « Specific Language Impairment », qui est le terme le plus utilisé depuis le début des années 80 dans les pays anglo-saxons 4 . Mais la notion de spécificité a été récemment remise en question du fait des liens entre les compétences verbales et non verbales 5 , l’existence fréquente de troubles associés (Bishop et coll. 2016 rappellent que « les troubles purs sont l’exception et non la règle ») et l’existence d’hypothèses non linguistiques explicatives des troubles du langage 6 . C’est ainsi que le terme « Langage Disorder » a été choisi par les rédacteurs du DSM-V (APA 2013). Devant cette prolifération de termes gênant tant le consensus clinique que l’organisation des soins et la recherche, un consortium de chercheurs et de cliniciens anglophones ont suivi un processus menant à l’adoption du terme de « Developpmental Language Disorder » 7 . Ce terme est également celui qui a été retenu par l’OMS dans la dernière version de la classification internationale des maladies (ICD 11). D’un point de vue pratique comme théorique, il serait pertinent que le terme de « Trouble Développemental du Langage » trouve sa place dans la pratique francophone et particulièrement française, comme a choisi de le faire récemment l’Ordre des Orthophonistes et Audiophonologistes du Québec (2017), et que celui-ci soit retenu parmi les diagnostics orthophoniques.
La démarche diagnostique
Bishop et coll. (2017) proposent une démarche évaluative en cinq étapes menant au diagnostic de Trouble Développemental du Langage 8 .
- Première étape : Constat de l’impact fonctionnel de la difficulté ; la difficulté langagière risque-t-elle d’avoir des répercussions dans la vie quotidienne et la scolarité de l’enfant au-delà de 5 ans ?
- Deuxième étape : Question de la familiarité avec la langue environnante ; s’agit-il d’un problème de langage ou une non-familiarité avec la langue environnante ? L’enfant est-il aussi en difficulté dans sa langue maternelle ?
- Troisième étape : les éléments de mauvais pronostic variables avec l’âge. Étape à partir de laquelle on parle de trouble du langage.
Avant trois ans : Il est très difficile de trouver des marqueurs fiables de pronostic de
Trouble Développemental du Langage (ce qui n’empêche pas la prise en charge précoce d’enfants parlant tardivement et présentant des facteurs de risque.)
Entre trois et quatre ans, on s’intéressera au nombre de secteurs linguistiques affectés par le trouble. La probabilité d’avoir un trouble du langage à l’âge primaire
augmente avec ce nombre. À partir de 5 ans, les difficultés langagières encore présentes sont généralement persistantes, les difficultés de compréhension et un bas niveau cognitif sont des facteurs défavorables.
- Quatrième étape : Existence de facteurs de différenciation ; le trouble est-il expliqué par une condition biomédicale connue ? Le trouble du langage fait alors partie de l’ensemble des troubles occasionnés par cette condition. On parle alors de trouble du langage associé à cette condition (par exemple surdité, déficience intellectuelle…)
Si aucun des facteurs de différenciation n’est retenu, alors on parle de « Trouble Développemental du Langage ».
- Cinquième étape : Recherche d’informations complémentaires : celles-ci définissent les secteurs langagiers affectés, les facteurs de risques et les troubles comorbides.
Harmoniser les descriptions cliniques et scientifiques
En plus des troubles phonologiques décrits dans les Troubles Développementaux du Langage, les classifications internationales (DSM-V, APA 2013) et le consensus
terminologique récent (Bishop & al. 2017) décrivent les « Sound Speech Disorders » qui sont des troubles phonético-phonologiques (dont les troubles d’articulation, les dysarthries et les dyspraxies verbales).
Dans les classifications françaises, coexistent « le trouble d’articulation » et le « retard de parole » pour les troubles développementaux, les dysarthries relevant des tableaux neurologiques 9 . La dénomination « Trouble des Sons de Parole » (traduit de façon malheureuse par « troubles de la phonation » dans la version française du DSM-V) permettrait d’harmoniser les descriptions cliniques et scientifiques, et ainsi de faciliter la démarche de recherche d’éléments probants pour la rééducation orthophonique.
Au-delà des discussions nosographiques et de leur portée sur le diagnostic et la rééducation orthophoniques, il importerait d’harmoniser les termes décrivant les troubles du langage pour une communication plus aisée entre professionnels, ainsi que pour une meilleure cohérence entre le niveau clinique, le niveau d’organisation des soins, la recherche et l’éducation.
Au-delà des discussions nosographiques et de leur portée sur le diagnostic et la rééducation orthophoniques, il importerait d’harmoniser les termes décrivant les troubles du langage pour une communication plus aisée entre professionnels, ainsi que pour une meilleure cohérence entre le niveau clinique, le niveau d’organisation des soins, la recherche et l’éducation.
1 Voir De Weck et Marro (2010). 2 Leonard (2009). 3 Misès et coll. (2012). 4 Terme lui-même discuté quant à son utilité en recherche et/ou en clinique : voir Reilly & al. (2014). 5 Botting (2005), Conti Ramsden & Durkin (2012), Norbury & al. (2016). 6 Majerus & Zeziger, (2009), Leclercq et Leroy (2012), Maillart (2018 a). 7 Bishop et al.(2016, 2017) ; voir Maillart (2018b), pour une présentation en français. 8 Voir Maillart (2018 a,b) pour une synthèse en français. 9 Pour une description de cette différence de conception, voir Macchi, Casalis & Schelstraete (2017).
Bibliographie
American Psychiatric Association. (2012). DSM-5 : diagnostic and statistical manual of mental disorders, 5 e édition, Washington D.C. American Psychiatric Association. Bishop, D. V., Snowling, M. J., Thompson, P. A., & Greenhalgh, T. (2016). CATALISE : A multinational and multidisciplinary Delphi consensus study. Identifying language impairments in children. PLoS One, 11(7), e0158753. Bishop, D. V., Snowling, M. J., Thompson, P. A., & Greenhalgh, T. (2017). Phase 2 of CATALISE : a multinational and multidisciplinary Delphi consensus study of problems with language development: Terminology. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 58(10), 1068-1080. Botting, N. (2005). Non-verbal cognitive development and language impairment. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 46(3), 317-326. Conti-Ramsden, G., St Clair, M. C., Pickles, A., & Durkin, K. (2012). Developmental trajectories of verbal and nonverbal skills in individuals with a history of specific language impairment: from childhood to adolescence. Journal of Speech, Language, and Hearing Research (JSLHR), 55(6), 1716-1735. de Weck, G., Marro, P. (2010). Les troubles du langage chez l’enfant. Description et évaluation. Masson. Haute Autorité en Santé (2017) Comment améliorer le parcours de santé d'un enfant avec troubles spécifiques du langage et des apprentissages. https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2822893/fr/comment-ameliorer-le-parcours-de-sante-d-un-enfant-avec-troubles-specifiques-du-langage-et-des-apprentissages. Leclercq, A.L., Leroy S. (2012). Introduction générale à la dysphasie : caractéristiques linguistiques et approches théoriques. In C. Maillart C., M.A. Schelstraete (eds). Les dysphasies de l’évaluation à la rééducation. Elsevier-Masson. 5-33. Leonard, L. B. (2009). Is expressive language disorder an accurate diagnostic category?. American journal of speech-language pathology, 18(2), 115–123. Macchi, L., Casalis, S., & Schelstraete, M.-A. (2017). La lecture chez les enfants avec des troubles spécifiques d’articulation, de parole et /ou de langage oral : une revue narrative de littérature. L’Année Psychologique, 116(4), 547–595. Maillart, C. (2018 a). L'apprentissage du langage chez des enfants présentant un trouble développement du langage (TDL). In A. Roy, Guillery-Girard, B. Aubin, G., Mayor, C. Neuropsychologie de l'enfant. Approches cliniques, modélisations théoriques et méthodes. De Boeck Supérieur. 68-93. Maillart, C. (2018 b). Le projet CATALISE, phase 2 « Terminologie ». Impacts sur la nomenclature des prestations de logopédie en Belgique. UPLF-Info, 35(2), 4-17. Majerus S., Zesiger P. (2009). Les troubles spécifiques du développement du langage in : Poncelet M., Majerus S., van der Linden M. (eds) : Traité de neuropsychologie de l’enfant. Solal. 97-134. Misès, R. (2012). Classification Française des Troubles Mentaux de l'Enfant et de l’Adolescent. Ehesp. Nomenclature Générale des Actes Professionnels, Orthophonie (dernière modification 06/11/2018). Rééducation des troubles de la voix, de la parole, de la communication et du langage. Titre IV, chapitre II, article 2. Norbury, C. F., Gooch, D., Wray, C., Baird, G., Charman, T., Simonoff, E., ... & Pickles, A. (2016). The impact of nonverbal ability on prevalence and clinical presentation of language disorder: evidence from a population study. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 57(11), 1247-1257. Ordre des Orthophonistes et Audiophonologistes du Québec. (2017). État de la situation sur le trouble développemental du langage (TDL). http://ooaqvousinforme.com/tdl-sept2017/. Organisation Mondiale de la Santé. (2012). ICD-11 International Classification of Diseases 11th Revision. Reilly, S., Tomblin, B., Law, J., McKean, C., Mensah, F. K., Morgan, A., Goldfeld, S. , Nicholson,J. M. and Wake, M. (2014). Specific Language Impairment: a convenient label for whom?. International Journal of Language & Communication Disorders, 49 : 416-451.
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Par Charlène Nassif
Psychologue , Conseil clinique
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Comme la sensibilité et la fidélité, notions abordées dans les newsletters précédentes, la validité est une propriété générale de tout instrument de mesure. La validité d'un test est sa qualité à mesurer effectivement ce qu'il est censé mesurer. L’utilisation d’un test qui fait preuve d’une bonne validité, assure au clinicien qu’il évalue bien ce qu’il souhaite mesurer.
La validité d’un test est toujours établie en rapport à des objectifs, à des populations cibles, ainsi qu’à des contextes d’application spécifiques. On parle donc de degré de validité donné pour un objectif précis (par exemple : mesurer l’intelligence), pour une population cible précise (par exemple : les enfants de l’école élémentaire), et pour un contexte d’application spécifique (par exemple : prédire la performance scolaire). De plus, le degré de validité d’un instrument psychométrique demeure relatif au lieu et au temps où il a été établi : il doit donc être réévalué périodiquement. Par exemple, un test peut n’être valide que dans la culture dans laquelle il a été développé ou contenir des items devenus obsolètes avec l’effet du temps.
Les différentes catégories de preuves de la validité d’un test : exemple du WISC-V (Echelle de Wechsler pour enfants et adolescents)
« Les conceptions contemporaines de la validité ne parlent plus de différents types de validité, mais plutôt de différentes catégories de preuves de la validité, toutes concourant à fournir des informations pertinentes pour l’interprétation spécifique des notes » 1
1- Les preuves basées sur le contenu du test
Pour être valide, un test doit avoir une solide assise théorique, et les tâches qui le composent doivent couvrir l'ensemble (ou au moins un échantillon représentatif) des aspects du concept à mesurer. Le WISC-V étant fondé sur le modèle théorique de Cattell Horn Caroll (CHC), les psychologues du Service Recherche et Développement ont dû s’assurer que les subtests de cette batterie étaient représentatifs des facteurs décrits dans le modèle CHC.
Les indices du WISC-V sont construits à partir du modèle CHC. Ainsi, par exemple, l’Indice de Compréhension Verbale (ICV) du WISC-V est représentatif du domaine Compréhension (Gc) du modèle CHC. Cinq indices du WISC-V sont ainsi représentés afin d’apprécier l’efficience intellectuelle des enfants et des adolescents à partir de ce modèle.
2- Les preuves basées sur la structure interne
L’examen de la structure interne d’une batterie « nous indique dans quelle mesure les relations entre les items/tâches et les composantes de ce test sont conformes au concept sur lequel l’interprétation des notes au test est basée » 2 . Pour cela, on analyse les coefficients de corrélation entre les items et les tâches demandées. « La corrélation entre deux données numériques correspond à l’intensité de la liaison entre ces deux variables. Le coefficient de corrélation est compris entre –1 et +1. Plus le coefficient est prochedes valeurs extrêmes –1 et 1, plus la corrélation entre les variables est forte ». 3
- Les subtests « Similitudes » (SIM) et « Vocabulaire » (VOC) du WISC-V (tableau ci-dessus) présentent une bonne corrélation (.63) : on peut donc postuler qu’il existe un facteur commun justifiant leur appartenance à un même indice : l’Indice de Compréhension Verbale (ICV).
- Les subtests « Cubes » (CUB) et « Compréhension » (COM) présentent une corrélation modérée (.30) : cela montre que même si ces deux épreuves appartiennent à des domaines différents, un facteur commun semble toutefois se dégager. En effet, les épreuves du WISC-V visent toutes à apporter des éléments sur le niveau d’intelligence de l’enfant ou de l’adolescent.
Lors de notre prochaine newsletter, nous étudierons les preuves basées sur la structure externe d’un test.
1 AERA, APA, NCME. (1999). 2 AERA, APA, NCME. (1999). 3 Cognet, G., Bachelier, D. (2017). Clinique de l’examen psychologique de l’enfant et de l’adolescent. Paris : Dunod.
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